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Les Britanniques ont encore gagné Noël (et c'est insupportable)

love carrots actually
Love actually forever !

Chaque année, c'est la même chose. Fin octobre, début novembre, les enseignes alimentaires britanniques dévoilent leurs publicités de Noël et, systématiquement, on se retrouve scotché devant nos écrans à pleurer sur une carotte anthropomorphe ou un géant bienveillant. C'est devenu un rituel, presque un genre à part entière. On attend ces films publicitaires comme on attendrait la sortie d'une série Netflix, on les décortique, on les compare, on vote pour notre préférée. Les Britanniques ont transformé la pub de supermarché en événement culturel. Et franchement, c'est assez génial.

Mais 2025 marque un tournant. Cette année, ces publicités ne cherchent plus à nous vendre le Noël parfait ; elles nous vendent quelque chose de bien plus précieux : une bulle. Une bulle faite de Love Actually qu'on connaît par cœur, de Roald Dahl qu'on peut réciter les yeux fermés, du Grinch qui nous rassure depuis l'enfance. Parce que quand le monde semble partir en vrille, on s'accroche à ce qu'on connaît. Aux histoires qui nous ont construits. Aux références qui nous ramènent à un temps où tout semblait plus simple.

Alors installez-vous confortablement avec votre tasse de thé (ou votre verre de vin, on ne juge pas), parce qu'on plonge dans le grand bain des publicités de Noël britanniques 2025. Attention : vous allez rire, vous allez pleurer, et vous allez probablement vous attacher émotionnellement à un légume.


1. Waitrose & Partners - Keira Knightley tombe amoureuse d'une tourte (et nous, on tombe dans le panneau à chaque fois)


Waitrose a fait une comédie romantique. Une vraie. Quatre minutes de pur rom-com assumé, avec Keira Knightley dans son propre rôle et Joe Wilkinson en veuf charmant dont la défunte épouse avait laissé une dernière volonté très précise : si tu refais ta vie, que ce soit avec Keira Knightley. (Dans Love Actually, vous vous souvenez, c'était Claudia Schiffer. Waitrose maîtrise ses classiques.)

Ils se rencontrent au rayon fromages. Évidemment. Parce que chez Waitrose, même les rencontres du destin ont un certain standing. Ils tombent amoureux, tout va bien, jusqu'à ce que Phil découvre qu'un certain Mark laisse des cadeaux chez Keira. Panique. Solution ? Lui cuisiner une tourte à la dinde et débarquer chez elle pour une déclaration d'amour en mode grand geste romantique. Twist : Mark est son frère. Tout le monde pleure. L'Angleterre est sauvée.

C'est dérivé ? Complètement. C'est manipulateur ? Sans l'ombre d'un doute. Est-ce que ça fonctionne parce que Love Actually coule dans nos veines depuis 2003 et qu'on ne demande qu'à y croire encore ? Absolument.

Waitrose a compris quelque chose d'essentiel : dans un monde chaotique, on a besoin de retrouver les codes narratifs qu'on aime. La rencontre improbable. Le malentendu. Le grand geste. La happy end. Ils ne vendent pas de la nourriture, ils vendent la certitude que les comédies romantiques disent vrai et que l'amour gagne toujours, surtout quand il passe par de la pâte feuilletée.


2. Aldi - Kevin la Carotte se marie (sur fond de Love Actually, évidemment)

Kevin la Carotte est de retour. Et cette année, il ne se contente pas de sauver Noël, il se marie. Toute l'opération est une longue déclaration d'amour à Love Actually : la demande en mariage avec des pancartes (vous savez, LA scène), l'enterrement de vie de garçon qui dérape (Kevin en mankini, ne demandez pas), et le sauvetage in extremis du mariage avec une déclaration musicale sur "Love Is All Around".

C'est un légume. Un légume qui chante du Wet Wet Wet à son mariage. Et vous êtes émotionnellement investi. Ce qui est parfaitement dément. Et parfaitement logique.

Parce que Aldi a réussi quelque chose d'assez incroyable : construire un univers narratif cohérent autour d'une carotte. Kevin n'est plus une simple mascotte, c'est devenu un personnage à part entière, avec son arc narratif, ses épreuves, son développement. On s'attache. On s'inquiète pour lui. On veut qu'il soit heureux. Dans un monde où tout semble incertain, Kevin la Carotte qui se marie nous prouve qu'il reste de l'espoir. Même pour un légume.


3. Tesco - Bienvenue dans la vraie vie de Noël

Tesco a pris un risque cette année : dire la vérité. La vraie. Celle qu'on cache habituellement sous les guirlandes et le champagne.

Onze micro-films. Onze petites scènes de vie qui capturent exactement ce qui rend Noël à la fois insupportable et inoubliable. Le Secret Santa au bureau où vous déballez un mug "Employé moyen de l'année". La guerre pour la dernière pomme de terre rôtie. Et surtout, surtout, cet oncle qui lâche une opinion complètement inappropriée au milieu du repas et qui continue de mâcher tranquillement pendant que tout le monde digère le malaise.

C'est d'une justesse absolue.

Tesco ne nous vend pas le Noël des catalogues. Ils nous vendent notre Noël. Celui où quelqu'un dit toujours ce qu'il ne faut pas, où la dinde est un peu sèche, où on est à deux doigts de parler politique mais on se retient (enfin, presque). Et ces moments-là, ces petits désastres partagés, ce sont exactement ceux qu'on raconte pendant des années. "Tu te souviens quand oncle Roger a dit que..."

Le format est malin aussi : des vidéos de 10 à 30 secondes, pensées pour TikTok, pour l'époque de l'attention fragmentée. Mais le fond est universel. Parce qu'on n'aime pas Noël malgré ses imperfections. On l'aime pour ses imperfections. Pour ce qu'elles créent : des histoires, des rires, des liens.


4. Lidl - La douceur nécessaire

Lidl a choisi la discrétion. Pas la discrétion de celui qui n'a rien à dire, mais celle de celui qui observe.

Leur film suit une petite fille qui regarde le monde autour d'elle : un collègue déguisé en étoile qui remonte le moral de quelqu'un, un employé Lidl qui aide une vieille dame avec son sapin, sa grand-mère qui fait semblant d'adorer un plat raté pour ne pas vexer. À la fin, assise à table, elle conclut simplement : "Je crois que tout le monde a quelque chose à apprendre de Noël."

C'est tout doux. Tout simple. À l'opposé du mariage musical de Kevin la Carotte.

Et pourtant, en 2025, alors que tout est si bruyant, si agressif, si intense en permanence, cette douceur fait l'effet d'une révolution tranquille. Lidl ne nous demande pas de grands gestes héroïques. Juste de remarquer. De voir ces petits actes de gentillesse qui se passent sous nos yeux tous les jours. Parce que quand les grandes structures semblent se fissurer de partout, au moins il reste ça : la possibilité d'aider quelqu'un à porter un sapin.

C'est la micro-solidarité comme stratégie de survie. Et peut-être que c'est tout ce qu'il nous reste. Mais c'est déjà beaucoup.


5. Sainsbury's - L'employée qui sauve Noël

Sainsbury's est resté fidèle à Roald Dahl. L'année dernière, le Bon Gros Géant préparait un festin gigantesque. Cette année, un nouveau personnage fait son entrée : le Géant Glouton, qui débarque et engloutit tout. Le chaos absolu.

C'est Annie qui sauve la situation. Annie, employée chez Sainsbury's. Pas une directrice, pas une héroïne venue d'ailleurs. Une employée qui connaît son magasin par cœur, qui sait exactement où trouver le jambon de Noël et qui n'hésite pas à s'associer au Bon Gros Géant pour tout remettre en ordre. À la fin, elle l'invite même à partager le repas avec sa famille.

Il y a quelque chose de profondément touchant dans ce choix narratif. Le héros, ce n'est pas la créature magique. C'est la personne ordinaire qui fait son travail avec compétence et bienveillance. Sainsbury's ne vend pas du rêve, ils vendent de la fiabilité. La promesse que quand tout part en vrille, quelqu'un qui connaît vraiment son métier sera là pour réparer.

Après les années qu'on vient de traverser, c'est une lettre d'amour aux travailleurs du commerce. Et ils la méritent amplement.


6. Asda - Le Grinch converti par les petits prix

Asda a casté le Grinch. Le vrai. Celui de Dr. Seuss. Et ils l'ont laissé râler sur le coût de Noël pendant trente secondes avant de lui montrer un magasin Asda brillant au loin comme une promesse.

À l'intérieur, la conversion est immédiate. Pas par l'amour, pas par la magie de Noël. Par les prix. Le Grinch remplit son caddie, rentre chez lui, organise une fête mémorable, et se transforme finalement en père de famille ordinaire faisant le fameux "pocket tap" d'Asda.

C'est d'une franchise presque désarmante. Asda vient de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : Noël coûte cher. Les familles calculent. Et ce n'est pas honteux de l'admettre. Si même un personnage iconique de la littérature jeunesse peut reconnaître que le budget compte, peut-être qu'on peut tous arrêter de faire semblant.

Dans le contexte économique actuel, cette honnêteté est presque courageuse. L'accessibilité n'est pas un aveu d'échec, c'est une nécessité. Et Asda l'assume pleinement.


7. Morrisons - La vérité sur le commerce alimentaire

Morrisons a fait quelque chose d'assez radical : montrer ce qui se passe avant décembre.

Leur film de 90 secondes suit des fermiers, des boulangers, des chauffeurs, des employés de magasin tout au long de l'année. Pas seulement pendant les fêtes. Toute l'année. Parce que voilà ce que la plupart des gens ignorent : Noël ne commence pas en novembre quand les décorations apparaissent en magasin. Noël commence en janvier. Le janvier d'avant.

On brief les fournisseurs au printemps. On développe les produits en été. On coordonne la logistique à l'automne. Et puis en décembre, les clients entrent dans un magasin parfaitement approvisionné et se disent "comme c'est festif". Sans réaliser les mois de travail invisible qui ont rendu ce moment possible.

En tant que professionnelle qui a passé des années dans le retail en Europe et en Amérique du Nord, à développer je ne sais combien de produits de Noël, je peux confirmer : c'est exactement ça. Morrisons a levé le voile. Ils ont montré le labeur, la coordination, le soin apporté à chaque détail sur toute une année.

Ils ne vendent pas de la magie. Ils vendent de la preuve. La preuve qu'ils ont mérité votre confiance. La preuve que cette dinde sur votre table a nécessité des mois de préparation minutieuse.

C'est de la transparence radicale comme antidote au greenwashing.


8. John Lewis - Le vinyle qui sauve un père

John Lewis a touché quelque chose de très profond cette année. Quelque chose qui fait mal.

Un père trouve un cadeau sous le sapin. Un vinyle de "Where Love Lives" d'Alison Limerick. Son fils adolescent l'a déposé là, puis s'est enfui de la pièce, incapable de rester pour voir sa réaction. Le père met le disque. La musique le transporte dans une rave des années 90. Dans ce souvenir, son fils est là, adulte dans la foule. Puis il redevient ce petit garçon qui faisait ses premiers pas vers lui. Retour au présent : le père serre son fils dans ses bras.

La signature : "Si vous ne trouvez pas les mots, trouvez le cadeau."

Ce n'est pas une publicité nostalgique. C'est une publicité sur la peur. La peur viscérale de perdre son enfant dans le silence de l'adolescence. Cet adolescent qui se replie, qui ne parle plus, qui se cache dans sa chambre. Celui qu'on sent glisser entre nos doigts sans savoir comment le retenir.

Et John Lewis sait parfaitement ce qu'ils font. 2025 a été l'année de la série Adolescence, qui a bouleversé tous les parents britanniques en leur montrant à l'écran leurs propres angoisses, leurs propres enfants qui s'éloignent. Le vinyle devient le dernier pont. Le dernier langage commun quand les mots ne passent plus.

John Lewis ne vend pas un objet. Ils vendent une bouée de sauvetage pour parents terrifiés.

C'est dévastateur. C'est brillant. Et oui, vous allez pleurer.


  1. M&S -Dawn French contre la joie festive, acte 2

Dawn French revient, fidèle à elle-même : grincheuse, réfractaire, allergique à l'esprit de Noël. Et sa Fée de Noël pailletée revient aussi, déterminée à lui imposer la joie festive de force.

Cette année, Dawn est coincée dans un embouteillage. La Fée apparaît, transforme un camion M&S en salle à manger éphémère sur l'autoroute, et soudain tout le monde se retrouve attablé pour un festin impromptu. Dawn grogne. Dawn résiste. Dawn finit par céder, parce qu'on ne résiste pas éternellement aux canapés M&S.

C'est plus spectaculaire que l'année dernière (de la maison à l'autoroute, la montée en échelle est claire), mais la formule reste la même : personnage réticent + intervention magique forcée + nourriture impeccable = capitulation festive.

Dawn French incarne quelque chose d'essentiel : cette part de nous qui trouve Noël fatigant, envahissant, un peu trop. Et qui vient quand même. Qui râle mais qui est là. Qui fait semblant de détester mais qui, au fond, ne voudrait rater ça pour rien au monde.

C'est nous. C'est exactement nous.


Le verdict : qui a gagné Noël 2025 ?

Waitrose remporte la palme pour avoir construit une vraie comédie romantique et compris que parfois, tout ce qu'on veut, c'est retrouver les codes rassurants de Love Actually et croire que l'amour se déclare avec de la pâte feuilletée.

John Lewis gagne pour avoir lu le moment culturel avec une précision chirurgicale, identifié l'angoisse parentale de toute une génération face à Adolescence, et transformé un vinyle en ligne de vie émotionnelle. C'est brutal, c'est juste, c'est bouleversant.

Morrisons gagne pour l'honnêteté brute. Ils ont montré le travail invisible, rendu hommage à toute une chaîne de métiers, et redéfini ce que signifie la crédibilité dans le retail.

Mais au-delà des gagnants, ce qui ressort vraiment de ces publicités 2025, c'est la reconnaissance.

Reconnaissance que Noël coûte cher et que c'est OK d'en parler (Asda). Reconnaissance que c'est gênant, imparfait, et que c'est justement pour ça qu'on l'aime (Tesco). Reconnaissance qu'on s'accroche tous à nos bulles rassurantes—Love Actually, Roald Dahl, le Grinch—parce qu'on en a besoin (Waitrose, Aldi, Sainsbury's). Reconnaissance que les grandes structures vacillent, alors on se concentre sur les petits gestes tangibles (Lidl). Reconnaissance que nos adolescents nous échappent et qu'on est terrifiés (John Lewis).

Le Royaume-Uni est fatigué. Fatigué de faire semblant que tout va bien. Alors ces publicités ont choisi de dire la vérité. Une vérité enveloppée de paillettes, certes, mais une vérité quand même.

Parce qu'au fond, le meilleur cadeau de Noël n'est peut-être pas la perfection. C'est de savoir que quelqu'un d'autre comprend. Que ce soit une enseigne alimentaire, une carotte qui se marie, ou une comédienne grincheuse coincée sur une autoroute.

Joyeux Noël à vous, magnifiques Britanniques. Vous l'avez mérité.

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