top of page

De l'écoblanchiment à l'écomutisme : Le dilemme environnemental et son impact sur l'écoanxiété

  • Photo du rédacteur: Marie Horodecki Aymes
    Marie Horodecki Aymes
  • 23 avr.
  • 4 min de lecture

Note : Cet article approfondit une recherche présentée par l'autrice lors du congrès 2025 de l'ACFAS (Association francophone pour le savoir) et explore le concept émergent d'écomutisme dans les communications des entreprises en matière de durabilité.

From greenwashing to greenhushing
acfas 2025 - poster

Quand se taire devient stratégique — et risqué

Alors que l’écoblanchiment est désormais bien identifié et combattu, un phénomène inverse prend de l’ampleur : l’écomutisme. Il ne s’agit plus de faire semblant d’agir, mais de cacher des actions bien réelles par crainte d’en parler. Cette stratégie silencieuse répond à une pression croissante : peur du backlash, incertitudes réglementaires, et polarisation politique croissante.

Sous l’administration Trump, les États-Unis ont vu un recul significatif des politiques climatiques et d’équité sociale. Les directives fédérales en matière d’achats publics dissuadent désormais les entreprises de promouvoir leurs engagements en faveur du climat ou de la diversité. En parallèle, des campagnes coordonnées de discrédit visent les entreprises perçues comme trop engagées politiquement. Des marques comme Molson Coors ou Humana ont été accusées de « wokisme », parfois pour des initiatives ESG pourtant modérées.

Dans ce climat, certaines entreprises adoptent une posture de repli. Elles réduisent la portée de leurs messages ou déplacent leur communication vers des canaux plus discrets. Paradoxalement, plus elles agissent, moins elles en parlent. Et ce silence stratégique a un coût — pour l’entreprise comme pour la société.


L’écomutisme : comprendre un silence contre-productif

L’écomutisme est l’inverse de l’écoblanchiment. Au lieu d’exagérer, on omet. Les motivations sont variées : peur des critiques, crainte d’incohérence, hostilité politique. Selon South Pole (2024), 65 % des entreprises interrogées ne communiquent pas sur la moitié de leurs actions environnementales, et 58 % ont accru leur mutisme entre 2022 et 2024.

Ce phénomène s’inscrit dans un contexte de défiance généralisée, de normes changeantes (ex. : GRI, CSRD, ISSB), et de manque de lignes directrices sectorielles claires. Par prudence, certaines entreprises préfèrent se taire plutôt que de risquer un faux pas.

Mais ce silence se retourne contre elles : il crée un vide informationnel qui nourrit la méfiance, le désengagement… et l’écoanxiété.

L’écomutisme ne sert ni l’entreprise — car il érode la confiance de ses consommateurs et, par effet de reproduction, ralentit les progrès de ses fournisseurs, augmentant ainsi son exposition au risque — ni les clients, qui peuvent y voir un retour en arrière et une perte de repères essentiels à leurs choix éclairés.


L’écoanxiété : un coût humain invisible mais bien réel

L’écoanxiété est une forme de détresse psychologique liée à la perception d’un manque d’action face aux changements climatiques. Elle touche de plus en plus les jeunes adultes, mais aussi les citoyens engagés de tous âges. En l’absence de signaux tangibles ou d’exemples inspirants, le sentiment que « rien ne change » s’impose.

Le silence des entreprises alimente ce sentiment. Il prive les individus de repères clairs, rend les efforts invisibles, et affaiblit les récits mobilisateurs. Résultat :

  • 68 % des 18–34 ans rapportent une forte écoanxiété (APA, 2022)

  • 57 % déclarent se sentir paralysés par manque de clarté (Ipsos, 2023)

  • 64 % se disent perdus face aux messages environnementaux (GlobeScan, 2023)

Dans un monde saturé d’alertes, le silence n’apaise pas : il isole.


Repenser la communication responsable : trois leviers

the trust triangle
The trust triangle

Sortir de l’écomutisme ne signifie pas revenir à l’écoblanchiment. Il s’agit de construire une nouvelle grammaire de la communication durable, fondée sur la clarté, l’authenticité et la collaboration. Le "triangle de confiance" identifie trois leviers concrets :

1. Écosystèmes de confiance

Collaborer avec des ONG, des coalitions sectorielles ou des organismes de certification indépendants renforce la crédibilité. Ces tiers de confiance permettent de valider les engagements sans tomber dans l’auto-promotion.

Exemple : IKEA, avec son partenariat avec le WWF et ses certifications FSC, inscrit sa stratégie de durabilité dans un écosystème cohérent.

2. Pouvoir d’agir collectif

Des initiatives participatives comme les ateliers « Deux Tonnes » donnent aux citoyens les moyens de comprendre, discuter et agir ensemble. En les impliquant, les marques transforment des audiences sceptiques en communautés informées.

3. Récit collaboratif

Valoriser des récits concrets, documentés, et parfois différés dans le temps — comme le fait Patagonia, qui ne communique qu’après avoir agi — permet d’ancrer les actions dans un cadre crédible. L’objectif n’est plus de promettre, mais de démontrer.


Du silence à l'engagement

L’écomutisme, né de la peur et de l’hostilité, est une impasse. Il aggrave l’écoanxiété, freine les transitions individuelles et mine la confiance collective.

Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de moins de communication, mais d’une communication meilleure — ancrée, transparente et engageante. Loin du silence comme des slogans, les entreprises peuvent construire des récits de durabilité mesurables, vérifiables et mobilisateurs.

Ce chantier appelle une collaboration entre praticiens, chercheurs et citoyens. Ensemble, ils peuvent construire les récits dont nous avons besoin pour mieux comprendre, documenter et agir de façon éclairée face aux enjeux climatiques et ESG.


Pour aller plus loin

La tentation du "Silent Impact" à l’heure du backlash écologique : faut-il renoncer à parler pour continuer à agir ? Elisabeth Laville https://www.linkedin.com/newsletters/l-optimisme-en-mouvement-7224532810785509378/

1. South Pole. Destination Zero Report. https://go.southpole.com/destination-zero-report-en (2024).

2. Clayton, S., Manning, C., Krygsman, K. & Speiser, M. Mental Health and Our Changing Climate. ecoAmerica. https://ecoamerica.org/mental-health-and-ourchanging-climate-2021-edition/ (2017).

3. Clayton, S. et al. Climate anxiety in children and young people. The Lancet Planetary Health https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2949753125000190 (2025).

4. Triple Pundit. Companies Are Greenhushing More Than Ever, New Study Shows. https://www.triplepundit.com/story/2024/companies-greenhushing-study/793521 (2024).

5. American Psychiatric Association. More Americans Say Climate Change Is Impacting Mental Health. https://www.psychiatry.org/News-room/News-Releases/More-Americans-Say-Climate-Change-Is-Having-an-Imp (2023).

7. Yale School of Public Health. Collective action helps young adults deal with climate change anxiety. https://ysph.yale.edu/news-article/collective-action-helps-young-adults-deal-with-climate-change-anxiety/ (2024).

8. South Pole. Going Green, Then Going Dark. https://www.southpole.com/fr/news/going-green-then-going-dark (2024).

9. Delmas, M. A. & Burbano, V. C. The Drivers of Greenwashing. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1966721 (2011).

10. Yale Sustainability. Yale Experts Explain Climate Anxiety. https://sustainability.yale.edu/explainers/yale-experts-explain-climate-anxiety (2024).

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating
bottom of page