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Consigne et collecte au Québec : transformons la crise en opportunité écologique et économique

  • Photo du rédacteur: Marie Horodecki Aymes
    Marie Horodecki Aymes
  • 15 mai
  • 6 min de lecture
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Le report à 2027 de la réforme québécoise de la consigne sur le verre révèle une occasion manquée d'en finir avec un système fragmenté et inefficace. Il s’explique notamment par la complexité logistique du modèle retenu par l’AQRCB et les retards accumulés dans l’implantation des points de retour. Pendant que le Québec retarde sa réforme, d’autres pays, comme le démontrent les reportages récents dans La Presse, revitalisent leur consigne avec une vision intégrée et unifiée sous un même organisme. Cette approche offre "une vision globale de l'ensemble des sujets et de l'ensemble des solutions", comme le souligne Valentin Fournel, directeur de l'équipe innovation chez Citeo (France).


Établir la hiérarchie environnementale

Les données scientifiques sont sans équivoque : réutiliser est bien plus écologique que recycler. L'étude du CIRAIG de 2010 pour RECYC-QUÉBEC remise à jour en 2015 démontre que les contenants à remplissage multiple ont significativement moins d'impact environnemental que les contenants à usage unique. Une bouteille en verre consignée peut émettre jusqu'à 80% moins de gaz à effet de serre qu'une bouteille à usage unique lorsqu'elle est réutilisée environ 20 fois. La fabrication du verre consomme 15 fois plus d'énergie que le simple lavage d'une bouteille réutilisable.


Solution proposée : collecte différenciée sous une gestion unifiée

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Une solution pragmatique pour optimiser à la fois l'impact environnemental et l'expérience utilisateur consisterait à réserver la consigne uniquement aux contenants réutilisables, et à améliorer la collecte sélective pour tous les autres contenants.

Pour les contenants réutilisables (comme les bouteilles de bière brunes standards), la consigne resterait le moyen le plus efficace de garantir leur réemploi. Ces contenants, qui peuvent être réutilisés jusqu'à 20 fois, représentent la solution la plus écologique selon les études du CIRAIG et nous pouvons imaginer un élargissement aux bouteilles de vins, de jus et aux bocaux via la standardisation de ces derniers.

Pour tous les autres contenants (verre non réutilisable, plastique, carton), une collecte sélective optimisée avec un véritable tri à la source serait plus efficace : trois sacs distincts (verre, plastique, papier/carton) que le consommateur n'aurait pas à rapporter en magasin. Ce système serait entièrement géré par un seul organisme (EEQ), simplifiant considérablement la structure administrative actuelle et permettant un meilleur arbitrage cout bénéfice.

Cette séparation claire dès le domicile permettrait d'obtenir des matières recyclables de bien meilleure qualité, facilitant leur valorisation, à l'image des modèles qui ont fait leurs preuves au Japon et en Belgique, même dans des contextes urbains denses.


Révision nécessaire du système québécois actuel

Mais pour parvenir à ces résultats, le Québec devrait revoir la gestion du système. Actuellement, deux organismes distincts, l'Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB) et Éco Entreprises Québec (ÉEQ), se partagent la gestion de la consigne et de la collecte sélective. Cette dichotomie entre emballages de boissons et autres emballages alimentaires n'est pas naturelle. Elle génère une fragmentation artificielle qui entraîne des coûts supplémentaires inutiles et une complexité accrue pour les consommateurs, les entreprises et les organismes gestionnaires.

Aujourd'hui, ÉEQ, avec son vaste bassin d'industries membres, est l'organisme le mieux outillé pour optimiser notre système de façon objective et cohérente. Son expertise dans la gestion de la collecte sélective, sa relation établie avec plus de 2 700 producteurs et sa vision intégrée de l'économie circulaire en font un candidat naturel pour unifier la gestion de l'ensemble du système québécois.


Bénéfices multiples de cette approche

Avantages environnementaux

L'accent mis sur la réutilisation pour les contenants qui s'y prêtent réduirait significativement l'empreinte carbone. Selon l'étude de l'ADEME, le verre consigné est en moyenne moins impactant de 50% pour l'indicateur "effet de serre" au bout de seulement 5 réutilisation et ce chiffre monte à 72% pour 20 réutilisations. La séparation à la source des autres matériaux (verre, plastique, papier/carton) améliorerait considérablement leur recyclabilité : un verre correctement trié peut être recyclé à l'infini, alors que mélangé à d'autres matières, sa valorisation devient problématique.

Avantages économiques

Pour 1 000 L de boisson, les coûts de gestion sont moindres avec la consigne pour réutilisation : 256€ pour le système consigné de la bière alsacienne Météor contre 517€ en bouteille à usage unique. De même, un tri efficace dès la source réduit considérablement les coûts de traitement et augmente la valeur des matériaux recyclés. Selon l'EPA américaine, chaque tonne de matériaux correctement triés génère plus de 65$ en valeur économique directe. Une étude suédoise révèle qu'un tri inefficace peut coûter jusqu'à 1,23 million d'euros par an à une ville moyenne. Le tri en trois catégories distinctes permet d'obtenir des flux homogènes dont la valeur marchande est significativement plus élevée que celle des matériaux mélangés puis séparés ultérieurement.

Avantages logistiques et pratiques

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Avantages logistiques et pratiques

Cette approche réduirait considérablement le fardeau pour les supermarchés qui n'auraient à gérer que les contenants réellement réutilisables, libérant espace et personnel. Pour les consommateurs, le système serait simplifié : rapporter uniquement les contenants réutilisables en magasin et trier les autres matières à domicile dans des sacs dédiés. Des exemples comme le Japon et la Belgique prouvent que même dans des espaces restreints, un tri en trois catégories est parfaitement réalisable par les ménages. Par ailleurs, l'expérience du supermarché Super U en France démontre qu'une manutention simplifiée et une hygiène parfaitement maîtrisée sont possibles avec les systèmes modernes de consigne pour réutilisation.

Bénéfices systémiques

En unifiant la gestion sous un seul organisme comme EEQ, tout en différenciant clairement les flux de matières, on créerait une véritable boucle vertueuse : les matériaux de haute valeur (comme l'aluminium ou le verre bien trié) financeraient en partie la gestion des matériaux plus difficiles à valoriser. Cette solidarité entre filières est impossible dans le système actuel à deux vitesses, où les revenus des matières les plus rentables sont captés par l'AQRCB, privant EEQ de ressources essentielles pour gérer efficacement les autres matières.


Exemples internationaux de réussite

La Belgique utilise un système similaire où le verre, le papier/carton et les emballages sont collectés séparément, atteignant des taux de recyclage parmi les plus élevés d'Europe. Le Japon, malgré son urbanisation dense, obtient des taux de recyclage exceptionnels grâce à une segmentation rigoureuse dès le foyer. En Finlande, le système Palpa se concentre sur les contenants réutilisables, atteignant près de 100% de taux de retour, tandis que les autres matériaux sont gérés par une collecte sélective efficace.


Mon avis

Le Québec doit désormais faire preuve d'un pragmatisme écologique et économique face aux défis de la gestion des déchets. Notre province possède un atout inestimable : un pôle d'expertise inégalé réunissant associations, entreprises, consultants et organismes comme RECYC-QUÉBEC, le tout enrichi par les échanges au sein de la francophonie internationale. Cette richesse de connaissances et d'expériences nous permet d'envisager des solutions audacieuses et adaptées à notre réalité.

Le moment est venu d'adopter une réforme simple mais profonde, distinguant clairement deux approches complémentaires : d'une part, la réutilisation via la consigne pour les contenants qui s'y prêtent, et d'autre part, le recyclage via une collecte sélective segmentée pour les autres matières. Cette différenciation, placée sous une gestion unifiée et cohérente, engendrerait une boucle vertueuse bénéficiant à tous les acteurs de la chaîne.

Les avantages d'une telle transformation seraient multiples et tangibles : allègement du fardeau logistique pour les détaillants, simplification des gestes quotidiens pour les consommateurs, amélioration des revenus de la filière grâce à des matières mieux valorisées, réduction des coûts opérationnels pour les entreprises, et optimisation significative de notre empreinte environnementale collective.

En définitive, le modèle actuel à deux vitesses et deux organismes apparaît comme un vestige du passé, inadapté aux exigences d'une économie véritablement circulaire. La crise actuelle nous offre l'opportunité historique de repenser ce système et de positionner le Québec comme un leader en matière de gestion environnementale des emballages, alliant pragmatisme économique et responsabilité écologique.

 

Sources :

Rousta, K., & Ekström, K. M. (2013). Assessing Incorrect Household Waste Sorting in a Medium-Sized Swedish City. Sustainability, 5(10), 4349–4361. https://doi.org/10.3390/su5104349

ADEME. (2018). Analyse de 10 dispositifs de réemploi ou réutilisation d’emballages ménagers en verre. Angers, France: Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie.

Lhotellier, J., Jeuniaux, R., Le Bihan, M., De Caevel, B., RDC Environment, & ADEME. (2023). Évaluation environnementale de la consigne pour réemploi d’emballages en verre – Volet A. Angers : Agence de la transition écologique (ADEME), 282 p.

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訪客
6月03日
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excellente analyse ! merci

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